Edith Cushing, jeune écrivaine américaine rêvant d’être Mary Shelley, rencontre Thomas Sharpe, lord anglais venu en Amérique pour trouver les financements nécessaires pour développer l’exploitation d’argile rouge dont il a hérité avec sa soeur Lucille. Tombant sous le charme du mystérieux jeune homme, elle l’épouse et part vivre avec eux dans le manoir familial.
Partant d’une romance gothique aux allures de costume horror, Guillermo Del Toro a construit Crimson Peak, son dernier film, comme un conte macabre. Un conte de ceux qu’adore psychanalyser Bettelheim…
Car le mystère du film repose au final sur un fait horriblement réel: l’inceste consommé entre Thomas et sa sœur Lucille. Cet inceste est révélé dans un plan aussi furtif que choquant dans lequel Lucille touche le pipi de son frère (plan difficile à trouver en photo, de part sa nature spoilerissante). Jolie métaphore visuelle qui décrypte tous les ressorts dramatiques du film: Thomas est littéralement tenu par les couilles par sa sœur (ainée), figure castratrice imposante s’étant substituée à celle de leur horrible mère (en apparence).
Del Toro nous fait comprendre la passivité molle de son personnage masculin principal, témoin et complice mutique des exactions sororales. Si le personnage de Thomas ne semble jamais vouloir, ou trop tard, contrecarrer à la routine meurtrière, c’est parce qu’il est tenu par ce secret honteux et par la figure dévoratrice de Lucille, qui porte la bague de famille, comme si elle était la fiancée, cachée certes, mais légitime tout de même.
Ainsi, on peut voir en Crimson Peak une singulière variation sur les Honeymoon Killers, qui se faisaient passer pour frère et soeur auprès de leurs victimes pour cacher leur noir dessein. Le personnage d’Edith en viendra à poser cette question: “Vous n’êtes pas frères et soeurs”, référence direct au dernier meurtre du film de Leonard Kastle. “Si”, lui répondra Lucille, enfonçant ici le clou du sordide. Ce plan constitue le punctum du film, ces quelques secondes font basculer le film, le faisant passer de la romance gothique matinée de fantastique à une banale histoire d’horreur ordinaire.
Cette scène fait écho au rapport sexuel que Thomas a avec Edith lors de leur nuit passée au village, loin du Manoir et de Lucille. Bestial et maître de son amante, et de lui-même, il découvre alors l’Amour avec un grand A, libéré du voyeurisme et de l’emprise de sa soeur malsaine. Il domine physiquement Edith, là où la révélation de l’inceste le replace dans le rôle du soumis.
A la manière d’un Labyrinthe de Pan, Crimson Peak puise son inspiration horrifique dans le réalisme le plus implacable. A l’Épouvante fantastique de sa ghost story, Del Toro répond par le traitement d’un fait tristement divers, un mal des plus concrets, la gangrène d’un amour interdit.
Lullaby Firefly
J’ai apprécié le film qui est vraiment très beau visuellement. Del Toro a réellement fait une énorme recherche dans la mise en scène, les costumes, le cadrage et la conception du manoir.
Ce film rend un hommage aux vieux films d’horreur de la Hammer, par exemple en reprenant de mises en scène et en glissant un clin d’œil à ses grands acteurs, tel Peter Cushing. Le nom de la protagoniste en est dérivé.
Del Toro conçoit Crimson peak avec le même esthétisme que le cinéma expressionniste, en se basant sur des contrastes de couleurs très prononcés qui ajoutent une ambiance particulière.
Mais, comme l’a annoncé le réalisateur, il s’agit d’une romance gothique. Sur ce point, Del Toro respecte toutes les caractéristiques : le château en ruine, les fantômes, la femme persécutée, la femme fatale, les secrets du passé, la torture psychique. Pour les amateurs de film de genre, Crimson peak est une belle trouvaille.
Le réalisateur se base sur le caractère romantique avec un grand « R », celui des artistes du 19, c’à dire celui qui met en scène des personnages tourmentés, le destin inquiétant… Pas le romantique ou la romance de notre 21e siècle.
Tous les personnages sont en proie à leur propre démon : Edith qui réalise la situation dans laquelle elle se trouve, Thomas qui est partagé entre l’amour de deux femmes et Lucille qui est dévoré par son avidité et sa jalousie envers Edith. Aucun d’entre eux n’est réellement maître de sa destinée, sauf Edith qui s’échappe d’Allerdale Hall.
Crimson peak se place plutôt dans la lignée du « chateau d’Otrante »…Les fantômes ne sont pas du tout le centre de l’histoire. Ils ne sont là que pour « éveiller » Edith au danger qui la menace. Le vrai danger est ailleurs, dans les sinistres projets des Sharpes qui veulent sa fortune et se débarrasseront d’elle, comme ils l’ont fait pour les trois précédentes.
La relation incestueuse est au cœur de la tourmente de Thomas qui ne sait plus qui est la femme de sa vie, Edith ou Lucille. Lorsque Edith les découvre en plein ébat, il est forcé de choisir.
C’est un film à voir au moins une fois en le considérant pour ce qu’il est réellement et non pour un film d’horreur, comme le présente à tort les médias, car cela n’a jamais été le but d’El Toro.