Poesia sin fin
D’Alejandro Jodorowsky
Avec Adan Jodorowsky, Pamela Flores, Brontis Jodorowsky, Jeremias Herskovits.
Chili/France – 2016 – 2h08
Sortie cinéma le 5 octobre 2016.
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La poésie sans fin commence exactement là où se terminait La Danza de la Realidad et on retrouve le jeune Alejandro et ses parents sur le bateau les conduisant loin de Tocopilla. Habitant désormais à Santiago, il quitte définitivement le monde de l’enfance et, à l’encontre de l’avis son père qui le prédestinait à une carrière de médecin, décide de se vouer corps et âme à l’Art en devenant poète.
Deuxième volet d’une ambitieuse trilogie autobiographique, La poésie sans fin nous plonge cette fois-ci dans le Chili des années 50, surgissant dans un premier temps sur le présent via des feuilles de décors en noir et blanc avant de se montrer pleinement à nos yeux par des décors toujours très théâtralisés, y compris les extérieurs. La démarche de Jodorowsky ne s’embarrasse donc toujours pas du réalisme et privilégie l’imaginaire, l’émotionnel, le symbolique. Conservant la même ambition créative que La Danza de la Realidad, le film s’avère moins onirique, sans être forcément plus sobre, comme si l’Art s’imposait de lui-même par les rencontres faites par notre jeune poète : de sa muse Stella Díaz Varín à son camarade Enrique Lihn en passant par Nicanor Parra et toute une team d’artistes haute en couleurs (dont une fille juchée sur un catcheur mexicain !). Jodorowsky découvre la puissance sacrée des mots et commence déjà à s’adonner aux arts les plus multiples : il est tour à tour marionnettiste, performer et, retrouvant le cirque de son enfance, clown, ce qui lui permettra de se donner pleinement à son public. Ainsi, via cette scène très christique où on le voit porté par l’audience, Jodorowsky nous rappelle l’importance fondamentale du sacrifice dans sa conception de l’Art.
Ainsi, Jodo met pleinement de sa personne dans son film et, après une première partie où on retrouve Jeremias Herskovits, c’est cette fois-ci Adan Jodorowsky, son propre fils, qui prête ses traits au cinéaste. On imagine les difficultés qu’a du rencontrer le comédien à jouer son père sous ses yeux, surtout quand ce dernier n’hésite pas à évoquer la sexualité, notamment via une scène, véritable quintessence jodorowskienne, où il fait l’amour à une naine. Il faut aussi noter que Stella, muse et premier amour du cinéaste, est incarnée, selon une logique toute oedipienne, par Pamela Flores, l’actrice qui joue également sa cantatrice de mère. Adan Jodorowsky, affichant forcément une ressemblance troublante, parvient à transmettre tout l’enthousiasme et la folie de son père qui, comme dans le premier film, vient, à quelques moments clefs, s’inviter aux côtés de son double fictionnel pour lui adresser un message du présent. Ce procédé permet à Jodorowsky de retrouver son père, toujours interprété par son ainé Brontis, et se réconcilier avec lui. Cet ultime échange (accompagné, puisqu’on est chez Jodo, d’un rasage intégral !) se fera sur le port où Alejandro prend le bateau qui le conduira à Paris. Un nouveau départ, une nouvelle disparition au fond d’un écran blanc, comme pour La Danza de la Realidad, et la promesse d’un dernier volet qu’il nous tarde déjà de découvrir.
Autobiographie sans concession, manifeste spirituel et artistique, La poésie sans fin est une œuvre unique, fourmillant d’idées (les ombres qui viennent débarrasser les acteurs de leurs accessoires, les étoiles scintillantes pour symboliser les fruits de l’Art…), où Jodo revient sur des étapes clefs de son existence, telles que la découverte du Tarot, sans oublier, via le défilé de squelettes se mêlant aux diables ou cet ange qui le suit, de regarder la mort en face.
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