Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution
De Jean-Luc Godard
Avec Anna Karina, Eddie Constantine, Akim Tamiroff
France, Italie – 1965 – 1h39
Ours d’or du festival international de Berlin 1965
Rating:
Ivan Johnson est un journaliste, originaire de Nueva York, venu faire un reportage à Alphaville, cité d’une autre galaxie au système suspect et aux habitants distants et froids. Il se balade toujours avec un appareil de photographie, ainsi qu’un carnet où il y a deux photos d’homme d’âge mûr avec des indications au dos…
Film noir d’un autre temps, Alphaville est aussi un film de science-fiction d’une autre dimension, car il n’y a aucuns effets spéciaux. Il en est de même pour certains films de cette époque, La Jetée ou THX 1138, mais ces films ont privilégié des décors. Et les décors de Godard ? C’est Paris. Le réalisateur suisse a beaucoup de ressources et a décidé de filmer Paris, comme on ne l’avait jamais fait et comme on ne le fera plus jamais. Les bâtiments sont effrayants de leur grandeur, les rues ne sont pas habitées et semblent mornes, et ce n’est pas mieux de l’intérieur. En effet tout est inondé de machine, d’électronique, ce sont des néons de simples ampoules. Ce sont des tableaux de bords côtoyant des unités centrales, ou encore des écrans réfléchissants et lumineux. D’ailleurs, tout ce travail de multicadrage, on voit même jusqu’à 3 téléviseurs dans un même espace dans un plan, suggère l’ombre malfaisante de la surveillance généralisée. Alors Alphaville exprime par conséquent le totalitarisme et la dictature gangrénant notre monde, avec des effets sans cause (« on ne dit pas pourquoi mais parce-que » répète-on dans le film) et des mise à mort absurde (au bord d’une piscine).
Tout cela est mis en scène dans un beau grain noir et blanc. Alphaville exprime aussi l’aliénation mentale et sociale, où les femmes sont signifiées seulement comme des objets de désir tatoués de chiffres. Même le personnage interprété par Anna Karina. Anna Karina, jouant Natacha, illumine et habite chaque plan lui étant consacré, de sa beauté plastique à la fois très commune et unique, le summum de la femme fatale, ou plus précisément la femme fatale la plus moderne. Et sa relation est principalement verbale avec Johnson et platonique : leur premier rendez-vous est à l’institut de sémantique générale, entre ellipses et répétition, barrières visibles (écrans, surfaces) ou invisibles (la fin). L’amour a été banni d’Alphaville, au même titre que l’art pourtant à eux deux, de leur relation orale, dans une longue séquence d’intérieur (la chambre de Johnson) ils incarnent la poésie et même l’humour et l’amour…
Jean-Luc Godard s’est toujours défendu contre la société de consommation, les marques prophétiques de son film se sont malheureusement bien mises en place : dérives climatiques, la surveillance déjà évoquée au-dessus, le poids de la police dans nos sociétés et surtout la crise sociale. En effet, Alphaville est une critique de la technocratie et de la politique pragmatique (la blague plus qu’acide sur la signification des initiales H.L.M) et permet tout autant à son auteur de proposer sa propre version de la théorie de la relativité : faire de l’art c’est militer, faire de l’art c’est résister.
Hamburger Pimp
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Oui ok mais quand même, jamais vu un espion aussi mauvais. Il prend vraiment ses photos n’importe comment pour un journaliste 🙂
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Bon sinon Alphaville c’est le Blade Runner des sixties. Merci Jean-Luc.
Ouais « Blade Runner » mais sans un rond. La même année, il fait aussi le « True Romance » des sixties avec « Pierrot le fou » (j’aurai pu dire « Pulp Fiction » mais on va rester chez les frères Scott). Bref, Godard n’a jamais été aussi inventif et accessible que durant cette décennie qui lui appartient corps et âme.
Il faut maintenant découvrir à qui appartient les seventies: Coppola, Scorsese, Spielberg ou Kubrick?
Kubrick c’est le cinéma en intégralité qui lui appartient. Après, avec Spielberg, Coppola et aussi De Palma, je pense qu’on a là les 3 patrons du ciné US des seventies (Scorsese donne pas encore le meilleur de lui-même sur cette décennie, enfin c’est mon avis, quant à Mallick, il n’a pas fait assez de films). Mais bon, en gros je dirais que les seventies appartiennent au Nouvel Hollywood.
T’as raison The Vug!
Le monde contemporain est totalement aliéné et ressemble de plus en plus à Alphaville : Alphaville symbolise le contrôle de la pensée, la TV, la radio, la presse, les nouvelles et les anciennes formes de fascisme et d’intégrisme, le politiquement correct qui rendent l’air irresponsable, et bien sûr la négation du rêve et du romantisme.
Et comme dans le film génial de Godard (qui abonde en trouvailles novatrices, en scènes d’anthologie, mélange de science-fiction et de cinéma avant-gardiste unique en son genre ), il n’existe que deux moyens de s’émanciper : l’amour-passion et l’art, la poésie.
Alphaville de Jean-Luc Godard est l’un des quelques chef-d’oeuvre qui incarnent ce que le 7ème Art peut offrir de plus beau.
Lire « qui rendent l’air irrespirable » et non pas « l’air irresponsable » (l’inconvénient de travailler avec une tablette, c’est qu’elle a la fâcheuse tendance de « corriger » d’une manière erronée ce que l’on tape)